L’architecte des Bâtiments de France a été saisi par le ministère de la Défense pour conseiller et accompagner les réflexions menées sur la reconversion de la corderie de Toulon. La corderie se situe à l’entrée ouest de la ville, un secteur en pleine mutation.
L’îlot de la Solde, caractéristique de l’entrée de ville, est le lieu de débat entre le ministère de la Défense, le ministère de la Justice, la communauté d’agglomération Toulon Provence Méditerranée et la ville. Ces acteurs sont les copropriétaires des parcelles contenues dans l’îlot ci-dessus référencé. Ce secteur est compris dans le périmètre de l’aire de mise en valeur de l’architecture et du patrimoine (AVAP).
Actuellement la corderie est une barrière physique entre l’arsenal et la ville de Toulon. Pour ouvrir cet édifice à la ville, il faut élargir le secteur d’étude. L’îlot de la Solde, la place d’Armes et la corderie forment un ensemble urbain intéressant.
À l’origine de la corderie
La corderie est un édifice du XVIIe siècle dessiné en 1682, par Vauban, l’ingénieur des fortifications. Appelé par Colbert en 1679, pour dessiner l’extension de la ville et de l’arsenal de Toulon, Vauban propose son évolution (nouvelle darse) à l’ouest du bourg primitif. L’intérêt architectural de la corderie, réside dans sa conception spatiale. La rationalité de Vauban l’a conduit à concevoir un édifice traduisant sa fonction : un lieu de fabrication des cordages.
Ses dimensions spectaculaires, 405 mètres de long et 20 mètres de large, en font la corderie la plus longue de France et la plus large d’Europe. Il ne reste que deux corderies en France, celle-ci et celle de Rochefort. Il convient donc, d’en préserver les valeurs.
Les évolutions de la corderie
Deux événements ont endommagé la corderie :
- L’incendie de 1873 qui a détruit la charpente, reconstruite en métal.
- L’’incendie de 1907 dont les dégâts sont encore visibles. Le feu a détruit 13 travées centrales, scindant en deux parties l’édifice. Celles-ci n’ont jamais été reconstruites, laissant place à une dent creuse.
La protection de la corderie
Aujourd’hui la corderie de Toulon fait partie de l’arsenal qui est toujours en activité. Le ministère de La Défense l’utilise en bureaux pour y loger ses services. Elle sert de limite physique à l’arsenal. Outre l’intérêt patrimonial et historique, la demande de protection de l’édifice se justifie par la nécessité de préserver le volume intérieur de la corderie. Dans le règlement de l’AVAP, la corderie est identifiée comme un bâtiment d’intérêt patrimonial majeur, les prescriptions architecturales permettent de préserver les façades uniquement.
L’intérêt architectural de toutes les corderies européennes est l’expression du volume intérieur. Non cloisonnées, elles proposaient une enfilade de piliers qui pouvaient se décliner jusqu’à 545 mètres de long (corderie d’Amsterdam).
Exemples de reconversion
À Rochefort, la corderie a été reconvertie en musée et bureaux pour le Conservatoire du littoral et le Centre international pour la mer. L’édifice a donc été cloisonné, et propose un espace d’exposition sur trois travées seulement.
À Venise, la corderie date de 1303. Elle accueille aujourd’hui les biennales d’art et d’architecture. Les qualités spatiales de l’édifice, permettent d’y installer tout type de décor ou d’objet de toute taille.
À Chatham, en Angleterre, la corderie est toujours utilisée pour fabriquer des cordages nécessaires à la marine. Elle ouvre ses portes au public, quelques jours dans l’année, durant lesquels, des personnes en costume d’époque, proposent aux visiteurs une balade dans le passé.
Un projet de reconversion
À Toulon, il y a déjà plusieurs idées de reconversion. Le musée de la Marine de Toulon, qui est actuellement à côté de la préfecture maritime, expose ses collections sur 1 000 m² de surface. Le musée aurait besoin de 3 000 m², avec de grandes hauteurs, pour pouvoir exposer les objets les plus volumineux tels que canon, bateau… qui sont entreposés dans une travée de la corderie.
Un projet de restauration
Outre le fait qu’il faille retirer les édicules extérieurs et intérieurs rajoutés par la Défense pour l’aménagement de ses bureaux, le projet de restauration se situerait aussi au niveau de la dent creuse. Celle-ci ne permet pas d’avoir une lecture d’ensemble de l’édifice. Sa reconstruction permettrait de redonner à lire la façade, longue de plus de 400 mètres.
La mise en valeur de la corderie
La protection de la corderie passe aussi par la requalification de son contexte urbain. Afin d’orienter les aménagements du périmètre proposé à l’étude, l’aire de mise en valeur de l’architecture et du patrimoine (AVAP) doit permettre d’accompagner les futurs projets urbains en lien avec la corderie.
Analyse du paysage et du patrimoine
Les grandes composantes du paysage de Toulon sont le Mont Faron et la rade. Il faudrait donc analyser les vues vers la rade et le Mont Faron en prenant en compte la topographie du site. Cette analyse devrait aussi permettre de trouver un système de zonage adéquat au périmètre. Les secteurs pourraient être définis à partir de séquences visuelles étudiées.
Proposition de quelques éléments pour alimenter l’AVAP dans le secteur « entrée de ville »
Les orientations à donner en terme de prescriptions ne doivent pas bloquer la création architecturale mais la guider dans le respect du patrimoine à mettre en valeur ou à révéler.
Les éléments suivants sont proposés dans le cas où la préservation des séquences visuelles serait retenue comme un des enjeux urbains de ce secteur.
Les vues du secteur « entrée de ville » vers la rade et l’arsenal
Les vues depuis la place d’Armes doivent être dégagées. Il faudrait être vigilant sur l’encombrement de cette vue. Aujourd’hui la superposition des plantations d’arbres sur la place, puis sur la rue Guillemard, empêche de voir la corderie, si bien que la plupart des toulonnais ne connaissent pas cet édifice. La mise en scène d’un bâtiment public dans un espace urbain est essentielle.
L’espace public
La rue Guillemard, devrait être réduite pour permettre l’aménagement d’une voie piétonne. La contre allée et la rue Guillemard devraient être réunies dans un espace d’aménagement de voirie unique. Il conviendrait de travailler sur le dénivelé entre la corderie et l’espace public. Le projet devrait proposer tout type de voiries (piéton, bus, vélo) nécessaires à la mise en valeur de la corderie.
La place d’Armes
En terme d’usage, elle doit retrouver son caractère d’espace public à l’échelle du quartier. Il faudrait gérer le végétal et le mobilier urbain qui l’encloisonnent. L’intérêt est. de la rendre accessible à tous. La contrainte de la surélévation, par le parking souterrain aménagé dans les années 90, doit être exploitée en atout pour en faire un véritable observatoire sur la corderie.
La corderie de Toulon est un immeuble présentant un intérêt historique suffisant pour en rendre désirable sa préservation. C’est un édifice remarquable par ses dimensions architecturales.
La protection au titre des Monuments Historiques n’est pas suffisante pour révéler l’édifice aux toulonnais. Depuis sa création elle joue un rôle urbain primordial d’entrée de ville. Elle constitue une articulation urbaine, entre la ville civile et la ville maritime.
L’AVAP est une servitude, guidant l’évolution d’une ville. Il faut donc que le règlement permette de donner des orientations, au regard des enjeux identifiés.
Dans le cas où le ministère de la Défense libérerait cette partie de l’arsenal, il serait intéressant de réviser l’aire de mise en valeur de l’architecture et du patrimoine, pour étendre le secteur « entrée de ville » à une partie de l’arsenal. C’est un préalable pour ouvrir la corderie sur la ville.